CAFERUIS

Regroupe des cours (IRTS Rennes 2009-2010), des infos, des épreuves de GAB, de management, etc. en lien avec la formation Caferuis


Chef de service : une fonction qui se cherche

Publié par Admin sur 17 Septembre 2012, 07:27am

Catégories : #Infos

Autrefois super-techniciens, les chefs de service du secteur social seraient-ils en train de devenir des managers, pleinement associés à une équipe de direction ? Pas si sûr. Pris entre des contraintes multiples, pour une grande part liées à la gestion, les cadres intermédiaires d'aujourd'hui vivent des situations très hétérogènes et restent en mal d'identité.

 

Initialement enseignante spécialisée au sein de l'Institut des jeunes sourds, Marie-Dominique Capapey y est devenue « responsable pédagogique » en 1999. « Mes missions s'articulaient autour de la scolarisation des enfants et adolescents sourds. J'avais en charge une soixantaine de collégiens et j'animais une équipe de 25 professionnels, enseignants spécialisés et orthophonistes. J'étais légitimée dans la fonction par mon expertise pédagogique, ma connaissance du public et de ses besoins », se souvient-elle. En 2002, elle se voit confier de nouvelles responsabilités : gestion du budget pédagogique et rééducatif, délégation de tâches administratives, participation au recrutement, à l'élaboration du plan de formation et au projet d'établissement. Sa fonction aussi change de nom : elle est désormais « chef de service, cadre de direction ».

 

 

En 2011, suite à l'arrivée d'une nouvelle directrice dans un contexte de fort changement institutionnel (mise en place du contrat pluriannuel d'objectifs et de moyens - Cpom -, de l'évaluation interne, projet de fusion associative, évolution du public), l'institut se réorganise en pôles d'accompagnement et la place à la tête de l'un d'eux - le pôle 12-14, en référence à la tranche d'âge des jeunes dont elle a la charge. Elle est désormais responsable d'une équipe pluridisciplinaire de 35 professionnels, reçoit délégation de la direction pour être garante du projet de service et de l'ensemble des projets individuels des enfants du pôle. « Mon travail actuel a peu à voir avec celui que je faisais au début de ma prise de fonction. Je suis passée d'un rôle d'organisatrice à un rôle d'actrice devant se situer dans un environnement politique, organisationnel et humain complexe », résume-t-elle.

 

 

Cet intéressant parcours, présenté lors des premières Rencontres nationales des chefs de service, organisées par l'Association nationale des cadres du social (Andesi) et l'Université Paris-Est Créteil (Upec) les 21 et 22 juin derniers, caractérise bien le tumulte dans lequel se trouve prise la fonction de chef de service depuis une dizaine d'années, dans un secteur social et médico-social en pleine reconfiguration. « Il y a eu plus de textes de loi en dix ans que de 1945 à 2002 », rappelle le sociologue des organisations et enseignant chercheur Michel Foudriat, co-auteur, avec le doctorant en sociologie et consultant Maxime Delaloy, d'une enquête sur la population des chefs de service (1), présentée lors de la journée précitée. Autant de changements à intégrer et à mettre en oeuvre, face auxquels les directeurs et, par délégation, les chefs de service, font figure d'acteurs de première ligne.

 

 

Recomposition des rôles

 


La loi du 2 janvier 2002, notamment, constitue un tournant majeur. « Elle a obligé les chefs de service à s'approprier de nouveaux outils et une temporalité d'action fixée par la loi, là où prévalait une culture de faible formalisation. Ça a certainement appelé un repositionnement des cadres intermédiaires », souligne Noël Touya, chef de service à la maison d'enfants à caractère social (Mecs) Saint-Vincent-de-Paul (64). Plus d'administratif, plus de travail pédagogique auprès des équipes pour expliquer ces nouveaux outils et leur donner vie, plus d'écrits à produire sur toutes les activités réalisées, plus de contrôle aussi, notamment avec l'exigence d'évaluation interne. En parallèle, les institutions du secteur sanitaire et social sont en train de changer sous l'effet d'une tendance lourde au regroupement d'associations et de structures, et à la structuration par pôles. En cause, leur mise en concurrence par le système des appels à projet - les petites associations, moins armées que les grandes pour y répondre se regroupant pour mutualiser les compétences - et la pression des tutelles pour avoir moins d'interlocuteurs et de négociations budgétaires.

 

 

Dans ce contexte, c'est toute la chaîne hiérarchique qui est remaniée. Dans certaines associations, le départ non remplacé de certains directeurs conduit les chefs de service à endosser des fonctions de direction, et des éducateurs à prendre une place de coordonnateurs pour assurer le travail de gestion du quotidien que les chefs de service n'ont plus le temps d'assumer. Un écueil, selon Gilles Bouffin, directeur général de l'association Moissons nouvelles, qui y voit une confusion des rôles et un subterfuge dans un contexte budgétaire restreint. « C'est une déqualification de la fonction de direction, pour laquelle il existe un diplôme. De même, les coordonnateurs assument des fonctions hiérarchiques qui ne disent pas leur nom, sans avoir le statut cadre ni la rémunération correspondants », déplore-t-il. Des réticences partagées par Philippe Hirlet, responsable du certificat d'aptitude aux fonctions d'encadrement et de responsable d'unité d'intervention sociale (Caferuis) à l'Institut régional du travail social (IRTS) de Lorraine. « Certes, le décret relatif à la qualification des directeurs permet aux titulaires d'un Caferuis d'accéder aux fonctions de direction des petites structures, mais dans les faits, on les forme à l'encadrement d'équipe, pas à être des directeurs. Dès lors, certains se sentent très démunis quand ils prennent leurs fonctions », souligne-t-il, souhaitant qu'un débat se rouvre sur le référentiel de formation.

 

 

Plus généralement, les nouvelles missions qui incombent aux organisations génèrent des délégations en cascade. « C'est parce que le métier de directeur change que le métier de chef de service change et que le métier d'éducateur change », résume Patricia Bouetel, ancienne chef de service, directrice d'un service d'accompagnement éducatif à la parentalité et du service de prévention spécialisée de l'Association interdépartementale pour le développement des actions en faveur des personnes handicapées et inadaptées (Aidaphi), située en région Centre. Depuis peu à la tête de ce second service, elle est en plein dans ce virage : « Je vais devoir déléguer à mes chefs de service des tâches que j'assumais jusqu'ici. Eux qui passent actuellement beaucoup de temps sur l'organisation des synthèses vont devoir s'en libérer pour les confier aux équipes éducatives, lesquelles vont devoir s'adapter à la présence plus réduite des chefs de service sur le terrain », relate-t-elle. Elle a mené une réflexion avec ces derniers pour voir ce qu'il leur serait possible de déléguer.

 

 

Positionnement flou

 


Autrefois chef de service, P. Bouetel a pris le parti de constituer avec ses cadres intermédiaires une « équipe de direction ». « J'ai pris conscience a posteriori que ne pas avoir accès à une vision globale de la dynamique associative m'avait manqué et laissée dans une grande solitude quand j'étais à leur place », analyse-t-elle. Mais ce choix n'est pas forcément partagé par ses collègues directeurs : « On se rend compte actuellement qu'au sein d'une même association, les charges et les missions des différents chefs de service varient considérablement. Certains directeurs continuent de voir le chef de service comme un hypertechnicien, d'autres le pensent davantage comme un manager, explique-t-elle. Sans compter qu'il y a des réticences de la part de certains chefs de service eux-mêmes à se penser du côté de la direction. »

 

 

Un constat partagé par Patrick Lefèvre, auteur du Guide de la fonction cadre et responsable de service en action sociale et médico-sociale (2) : « L'ex-super-éduc devenu manager, c'est de la théorie : dans beaucoup d'endroits, ils sont restés dans une posture assez traditionnelle. Ce qui a changé, en revanche, c'est qu'on en a fait des pseudo-gestionnaires. » Aussi peut-on s'interroger sur le discours qui décrit ces cadres comme des membres de l'équipe de direction. Dans l'enquête menée par M. Foudriat et M. Delaloy, 50,9 % des chefs de service interrogés affirment en faire partie. « Ce positionnement est majoritairement revendiqué par les personnes détentrices d'un Caferuis. Or quand on observe le détail de leurs réponses, il apparaît que le temps qu'ils disent passer avec l'équipe de direction est dans tous les cas très inférieur à celui passé avec leurs équipes », soulève M. Foudriat. Ce dernier en déduit que la réponse des chefs de service énonce davantage une norme sur ce que devrait être leur place, que la réalité de celle-ci. Et de se demander s'il n'y aurait pas un intérêt idéologique à cette fausse promotion : celle de masquer que c'est sur les chefs de service que repose la mise en place de toutes les nouvelles obligations posées par les agences régionales de santé (ARS) et autres tutelles. « Par ailleurs, alors que les directeurs sont considérés comme appartenant aux professions intellectuelles supérieures, les chefs de service relèvent des professions intermédiaires, au même titre que les techniciens. Il ne suffit donc pas de dire qu'ils appartiennent à l'équipe de direction pour en faire des managers dans la réalité ! », renchérit M. Delaloy.

 

 

Le management mal vu

 


Fort d'une expérience du social à l'étranger et dans le privé, Stuart Harrison est chef de service à l'association Olga Spitzer. Il déplore qu'en France, le secteur ait de fortes difficultés à intégrer une vraie dimension managériale, ce mot provoquant du rejet. « Les salariés du travail social pensent que le management s'oppose au souci de l'humain, or c'est faux. Du coup, les équipes tendent à n'accorder de crédit aux chefs de service que s'ils sont dans l'expertise technique, et les dirigeants les maintiennent dans des tâches de gestion et d'administration, alors que manager signifie anticiper, développer, coopérer, rechercher des horizons. On a des chefs de service sur une dimension opérationnelle, mais pas "projet" », regrette-t-il, revendiquant une pensée complè tement à la marge dans le secteur. Plus soumise aux injonctions, mais sans espace pour créer, pour inventer, pour s'ouvrir sur l'extérieur, la fonction de chef de service s'appauvrirait, là où « la fonction d'encadrant d'équipe était très riche ». « D'où le fait que beaucoup de ces professionnels disent ressentir de la souffrance au travail », poursuit S. Harrison.

 

 

Qui sont donc ces chefs de service pris entre des contraintes multiples ? Qui veut-on qu'ils soient ? Les journées organisées par l'Andesi et l'Upec, ainsi que l'enquête réalisée à l'occasion de cet événement (3) ont soulevé davantage de questions qu'elles n'ont amené de réponses, tant la fonction semble hétérogène en fonction des secteurs d'activité, des structures, de la taille des organisations et de la personnalité des dirigeants. « Dans les formations Caferuis, il n'y a pas de réflexion sur la culture et l'identité professionnelles des chefs de service. En outre, le Caferuis est un certificat d'aptitude et non un diplôme d'État. Tout cela concourt à une faible lisibilité de la profession », note M. Delaloy. Les participants aux journées l'ont bien ressenti, beaucoup manifestant le désir que se crée une association nationale des chefs de service, afin d'amorcer un travail de construction et de légitimation d'une véritable profession (4).

 

 

(1) Enquête réalisée à partir de 232 questionnaires remplis par des chefs de service issus du fichier de l'Andesi.
(2) Chez Dunod. La troisième édition de ce guide est à paraître en octobre 2012.
(3) Enquête qui servira de base à la rédaction d'un ouvrage co-édité par Dunod et Andesi, à paraître en mai 2013.
(4) De secondes rencontres nationales des chefs de service se tiendront à Lyon les 20 et 23 juin 2013.

>Quid> des équipes ?
« Très souvent, là où il y a souffrance au travail aujourd'hui, les équipes nous rapportent que les cadres ne sont pas présents, trop pris par leurs nouvelles obligations, relate le président de l'Organisation nationale des éducateurs spécialisés (Ones), Jean-Marie Vauchez. En outre, ces derniers sont de moins en moins souvent d'anciens éducateurs et cela crée une coupure », estime-t-il. Or les services et structures du secteur éducatif sont amenés à recevoir des publics difficiles, en souffrance, « à faire face à des comportements violents, pathologiques, qu'on n'arrive pas à contenir dans la vie commune ». Ce qui ne va pas sans impacter l'institution et les professionnels qui se trouvent en première ligne. « L'évolution de la fonction cadre pose la question de savoir qui amène aux équipes la sécurité nécessaire pour travailler, pour dire leur souffrance et se dégager du quotidien », insiste le président de l'Ones. Pour Noël Touya, chef de service à la Mecs Saint-Vincent-de-Paul, cela fait résolument partie du rôle du chef de service « dans sa fonction managériale ». Pour y parvenir, ce dernier doit construire « des espaces-temps structurés, réguliers, dédiés à la circulation de la parole, note-t-il. Sans quoi il y a un effet de propagation institutionnelle de toutes les angoisses ressenties par les professionnels ».
Source : TSA
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