CAFERUIS

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Le désarroi de l’ostracisé

Publié par Admin sur 17 Novembre 2016, 13:22pm

Contrairement aux idées reçues, le secteur n’est pas épargné par les situations de mise à l’écart professionnelle. Certains parviennent à s’extraire du placard, notamment en s’appuyant sur leurs pairs et en trouvant d’autres points d’ancrage.

Bien sûr, cela n’existe pas dans le secteur social et médico-social. Un secteur qui a pour vocation de prendre soin des plus vulnérables, ne maltraiterait pas ses propres troupes. A fortiori ses cadres et ses directeurs, sur lesquels repose la bonne marche des établissements et services… Et pourtant. Parfois, certains se retrouvent sur la touche. Mis à l’écart. « Ringardisés », bref, placardisés. Le sujet est tabou ; difficile donc d’en prendre la mesure. « En huit années d’intervention dans le secteur, je n’ai été témoin qu’une fois de ce genre de situation, rapporte Sylvain Jouve, psychologue du travail, consultant au cabinet RH & Organisation. Il s’agissait d’une malencontreuse stratégie de l’employeur pour inviter un directeur à comprendre qu’il n’avait plus sa place dans les projets d’avenir de la boutique – tout en s’évitant le coût d’un licenciement. » Mais ses services étant le plus souvent requis par les employeurs, il est possible que certains événements lui échappent, admet le consultant. « On n’en parle pas, confirme un ancien directeur qui préfère rester anonyme. Qui a envie d’admettre qu’il s’est retrouvé au placard ? Quand ça arrive, on part. On change de champ, de région, on s’invente une histoire. Champ associatif, fonction publique, c’est pareil. Ça "cartonne". Comme partout. »

Une forme de harcèlement

Directeur adjoint dans une grosse structure publique, Michel M. [1] a connu quatre ans de traversée du désert. Aujourd’hui encore, il fait « plus ou moins tapisserie », chargé de « fonctions transversales ». Et compte les années jusqu’à la retraite. Sa faute ? Ne pas être rentré dans le moule « d’une administration qui fonctionne au relationnel ». « Je travaille dans le cadre qui m’est imparti. Je ne joue pas le jeu de la grande gueule syndicaliste, mais je refuse d’obéir sans moufter. Et ça, ça les insécurise », estime-t-il. Peu après un changement à la tête de son établissement, le directeur a été convoqué par sa hiérarchie, sur la foi d’une lettre anonyme, puis suspendu informellement. Bien qu’aucune suite disciplinaire n’ait été donnée à l’affaire, toutes ses tâches lui ont été retirées. Plus de courrier. Aucun coup de téléphone. De temps en temps, un petit travail à la demande, ingrat et à des années-lumière de ses compétences réelles. « C’est comme couper toutes les ficelles de la marionnette, résume-t-il. Vous vous retrouvez en vrac par terre ; vous n’êtes plus relié à rien. »

Trop souvent banalisée ou minimisée dans ses conséquences, la placardisation constitue une forme de harcèlement qui peut s’avérer très destructrice. « À ce niveau de responsabilités, si on est écarté du pilotage stratégique, il ne reste plus rien. Et on finit par se convaincre qu’on ne vaut pas plus que les quelques tâches insignifiantes qu’on récolte », décrit Sylvain Jouve. « À l’extérieur, j’étais lisse et cordial. Mais ça m’a bouffé de l’intérieur », raconte Michel M., qui évoque des répercussions sur sa vie de famille et des problèmes de santé liés au stress.

Des pare-feu

L’idéal serait de pouvoir s’ouvrir de son ressenti à sa hiérarchie. Difficile, quand la mise à l’écart est intentionnelle… « J’ai été reçu par mon patron, entendu à l’agence régionale de santé (ARS), j’ai mentionné ce climat délétère dans mon dossier d’évaluation… Peine perdue, reprend Michel. Et tout ça avec des sourires, de la convivialité. » À défaut, les pairs peuvent contrebalancer le sentiment d’ostracisation. En partageant les impressions du placardisé, ils permettent d’éviter l’isolement relationnel. Voire, peuvent prendre la défense de leur collègue. Lequel peut également tenter de revenir dans le jeu en proposant de décharger ses pairs de certaines tâches qui relèvent de ses compétences.

« En dernier recours, on peut toujours se créer sa propre activité supplémentaire, préconise Sylvain Jouve, en développant un projet particulier, en misant sur la formation… Tout l’enjeu étant de s’assurer que ce projet s’intègre bien dans la stratégie de la hiérarchie. » Faute de reconnaissance des diplômes passés durant ces quatre années, Michel M. s’est tourné vers les associations de directeurs, les cercles de réflexion, les réseaux du secteur. Autant « d’ancrages périphériques » qui lui ont permis de « valider sa posture professionnelle ». Pour Sylvain Jouve, heureusement, l’activité même du secteur représente un pare-feu non négligeable : « Même quand les responsabilités ont été retirées, le lien direct avec les usagers génère une demande. Et même si la hiérarchie ne renvoie rien, le public peut donner de la valeur aux journées. »

[1] Son identité a été modifiée à sa demande.

 

Source : Publié dans le magazine Direction[s] N° 147 - novembre 2016

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